Théorie d'Iwasawa

La théorie d'Iwasawa peut être vue comme une tentative d'étendre les résultats arithmétiques classiques sur les corps de nombres (extensions finies du corps Q {\displaystyle \mathbb {Q} } des rationnels) à des extensions infinies de Q {\displaystyle \mathbb {Q} } , par des procédés de passage à la limite des extensions finies vers les extensions infinies.

Généralités

Les objets de base de la théorie d'Iwasawa sont les Z p {\displaystyle \mathbb {Z} _{p}} -extensions ; c'est-à-dire des extensions galoisiennes dont le groupe de Galois est le groupe profini Z p {\displaystyle \mathbb {Z} _{p}} , pour p {\displaystyle p} un nombre premier fixé. Par la correspondance de Galois, la donnée d'une Z p {\displaystyle \mathbb {Z} _{p}} -extension est équivalente à celle d'une tour d'extensions K = K 0 K 1 K n K {\displaystyle K=K_{0}\subset K_{1}\subset \dots \subset K_{n}\subset \dots \subset K_{\infty }} telle que chaque K n {\displaystyle K_{n}} est galoisienne sur K {\displaystyle K} de groupe de Galois Z / p n Z {\displaystyle \mathbb {Z} /p^{n}\mathbb {Z} } .

  • Pour chaque corps de nombres, une Z p {\displaystyle \mathbb {Z} _{p}} -extension particulière peut-être construite par adjonction de racines p {\displaystyle p} -ièmes de l'unité : la Z p {\displaystyle \mathbb {Z} _{p}} -extension cyclotomique.
  • Sous la conjecture de Leopoldt, un corps de nombres admet r 2 + 1 {\displaystyle r_{2}+1} Z p {\displaystyle \mathbb {Z} _{p}} -extensions linéairement indépendantes, où r 2 {\displaystyle r_{2}} est le nombre de couples de plongements complexes conjugués du corps considéré ; ce qui peut encore s'énoncer en disant que le compositum de toutes ces extensions a pour groupe de Galois Z p r 2 + 1 {\displaystyle \mathbb {Z} _{p}^{r_{2}+1}} .

Théorème fondamental

Le théorème fondateur de la théorie, dû à Iwasawa, porte sur le comportement du groupe des classes le long d'une Z p {\displaystyle \mathbb {Z} _{p}} -extension. Soit p {\displaystyle p\,} un nombre premier, K {\displaystyle K\,} un corps de nombres, et n K n {\displaystyle \bigcup _{n}K_{n}\,} une Z p {\displaystyle \mathbb {Z} _{p}\,} -extension de K {\displaystyle K\,} . Pour chaque n {\displaystyle n\,} , on s'intéresse au cardinal du p {\displaystyle p\,} -Sylow du groupe des classes de K n {\displaystyle K_{n}\,}  ; notons le p e n {\displaystyle p^{e_{n}}\,} . Alors, il existe des entiers μ {\displaystyle \mu \,} , λ {\displaystyle \lambda \,} (positifs), ν {\displaystyle \nu \,} (de signe quelconque), tels que pour n {\displaystyle n\,} assez grand, on ait :

e n = μ p n + λ n + ν {\displaystyle e_{n}=\mu p^{n}+\lambda n+\nu \,}

Idée de la démonstration

Notons A(Kn) le p-Sylow du groupe des classes du corps Kn. Par la théorie du corps de classes, il existe une extension Ln de Kn tel que A ( K n ) G a l ( L n / K n ) {\displaystyle A(K_{n})\simeq Gal(L_{n}/K_{n})}  : Ln est la p-extension abélienne non ramifiée maximale de Kn. L'union des corps Ln fournit alors un corps L, qui est la pro-p- extension abélienne non ramifiée maximale de K {\displaystyle K_{\infty }} .

On considère alors le groupe de Galois X = G a l ( L / K ) {\displaystyle X=Gal(L/K_{\infty })}  :

  • X est la limite projective des groupes G a l ( L n / K n ) {\displaystyle Gal(L_{n}/K_{n})} , qui apparaissent comme des quotients de X.
  • X en tant que pro-p-groupe abélien a une structure naturelle de Z p {\displaystyle \mathbb {Z} _{p}} -module.
  • Par ailleurs, le groupe de Galois de l'extension cyclotomique G a l ( K / K ) {\displaystyle Gal(K_{\infty }/K)} agit sur X, dont on peut montrer qu'il est ainsi muni d'une structure de Z p [ [ T ] ] {\displaystyle \mathbb {Z} _{p}[[T]]} -module, c'est-à-dire de module d'Iwasawa.

L'investigation de la structure des modules d'Iwasawa relève de l'algèbre linéaire. Connaissant leur classification à pseudo-isomorphisme près, et ayant calculé par quel sous-groupe on quotiente X pour obtenir G a l ( L n / K n ) {\displaystyle Gal(L_{n}/K_{n})} , on peut en déduire l'estimation asymptotique du cardinal de ces groupes, qui fournit la formule annoncée sur A(Kn).

Quelques résultats et conjectures

  • L'invariant μ {\displaystyle \mu } est nul pour la Z p {\displaystyle \mathbb {Z} _{p}} -extension cyclotomique au-dessus d'une extension abélienne de Q {\displaystyle \mathbb {Q} } (théorème de Ferrero-Washington). Des exemples sont connus d'autres extensions où il n'est pas nul.
  • L'invariant λ {\displaystyle \lambda } est connu par exemple pour les corps quadratiques imaginaires, par la formule de Kida. Il est conjecturé qu'il est nul pour les corps totalement réels, c'est la conjecture de Greenberg.
  • La structure de module d'Iwasawa du groupe X = G a l ( L / K ) {\displaystyle X=Gal(L/K_{\infty })} est relié dans certains cas à certaines fonctions L p-adiques, par la conjecture principale en théorie d'Iwasawa, démontrée pour Q {\displaystyle \mathbb {Q} } par Barry Mazur et Andrew Wiles en 1984[1], puis pour tout corps de nombres totalement réel par Wiles en 1990[2]. Leurs techniques s'inspiraient de celles utilisées par Ken Ribet dans sa preuve du théorème de Herbrand-Ribet. Karl Rubin a démontré d'autres généralisations de la conjecture pour les corps quadratiques imaginaires[3]. Plus récemment, s'inspirant de la méthode de Ribet, Chris Skinner et Éric Urban ont annoncé une preuve de la conjecture principale pour GL(2)[4].

Développements

Le développement des idées d'Iwasawa peut se faire selon plusieurs axes :

  • on considère le comportement le long des étages d'une Z p {\displaystyle \mathbb {Z} _{p}} -extension d'autres objets que le groupe de classes, notamment du groupe de Mordell-Weil d'une courbe elliptique. On parle de théorie d'Iwasawa des courbes elliptiques.
  • on considère le comportement des objets arithmétiques non plus le long d'une Z p {\displaystyle \mathbb {Z} _{p}} -extension, mais dans des extensions infinies ayant d'autres groupes de Galois : par exemple Z p d {\displaystyle \mathbb {Z} _{p}^{d}} , ou plus généralement un groupe analytique p-adique. Se développe ainsi une théorie d'Iwasawa non commutative, notamment sous l'impulsion de John Coates.

Notes et références

Notes

  1. (en) B. Mazur et A. Wiles, « Class fields of abelian extensions of Q », Inventiones Mathematicae, vol. 76, no 2,‎ , p. 179–330 (lire en ligne)
  2. (en) A. Wiles, « The Iwasawa Conjecture for Totally Real Fields », Annals of Mathematics, vol. 131, no 3,‎ , p. 493–540 (DOI 10.2307/1971468)
  3. (en) K. Rubin, « The "main conjectures" of Iwasawa theory for imaginary quadratic fields », Inventiones Mathematicae, vol. 103, no 1,‎ , p. 25–68 (DOI 10.1007/BF01239508)
  4. (en) C. Skinner et É. Urban, The Iwasawa main conjectures for GL2, preprint (2010).

Références

  • (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Iwasawa theory » (voir la liste des auteurs).
  • (en) Lawrence C. Washington, Introduction to Cyclotomic Fields [détail des éditions]
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